Amadou Lamine SALL
Amadou Lamine Sall, né le 26 mars 1951 à Kaolack (Sénégal), est l’un des poètes majeurs de l’Afrique francophone contemporaine, désigné par Léopold Senghor, dont il fut l’ami et le fidèle disciple, comme « le poète le plus doué de sa génération ». Chef de file de la poésie sénégalaise, Amadou Lamine Sall est le Fondateur de la Maison africaine de la poésie internationale et des éditions feu de brousse, à Dakar, où il préside la Biennale internationale de poésie. Secrétaire Général de la Fondation mondiale pour le Mémorial et la Sauvegarde de l’île de Gorée, conseiller du ministre de la Culture du Sénégal ; Amadou Lamine Sall est très présent dans la vie culturelle et politique du Sénégal. « La grande leçon de Senghor, écrit-il, c’est qu'il n’existe pas de pays sous-développé, mais des femmes et des hommes sous-développés, c'est à dire non instruits, non éduqués. L’éducation et la culture sont au cœur du développement. Nous devons revenir à cette vérité, à cette certitude. Le Sénégal est un grand petit pays respecté et aimé de par le monde pour la qualité de ses hommes de l’esprit, nos guides religieux compris. Ce pays, comme Senghor, est une graine. On croit pouvoir l’enterrer, mais il germe et pousse toujours. »
Poète de la révolte, Amadou Lamine Sall est tout autant et surtout un poète de la joie, du solaire, de l’amour, de la femme, sensuel : J’aime regarder - le Sénégal s’endormir le soir sur tes paupières - et se réveiller le matin dans tes yeux - Tu seras l’Unique Miracle des goélands - la GRANDE TERRE - celle pour qui je veux encore - vivre et accepter D’AIMER. Ses images fusent dans la brousse autant que dans les villes du Sénégal, d’Europe et de cette Afrique, dans laquelle il est solidement enraciné comme un baobab ; mais cet arbre voyage beaucoup et ses branches savent accueillir des oiseaux de différents pays ; à commencer par ceux de la Francophonie dont, à la suite du pionnier Senghor et de son successeur à la présidence du Sénégal Abdou Diouf, un chantre passionné : « La langue française est notre maison, la Francophonie est notre famille, notre héritage, passé, présent et avenirs confondus… La Francophonie est un espace où chacune, chacun de nous, parle sa propre langue : le français ! Oui, la Francophonie est devenue notre patrie commune ! Oui, en Afrique, nous ne sommes plus locataires de la langue française, mais copropriétaires ! La Francophonie est le lieu de refondation de notre volonté de vivre ensemble, différents. Oui, nous devons éviter pour certains d’entre nous que le souvenir difficile de la colonisation ne soit toujours la mauvaise conscience qui hante le regard sur l’autre. Se tromper de chemin, c’est apprendre à connaître son chemin. Le soleil et la lune brillent désormais dans un même ciel. Voilà le miracle de la Francophonie… Notre Francophonie n’est ni un voisinage ni une mitoyenneté. Elle est un jardin commun. Nous cultivons le même champ. Nous logeons sous le même toit. Nous habitons ensemble une ville entière qui n’a qu’une seule rue et une seule maison, une seule adresse. Nous sommes un même continent, un continent de l’esprit grâce à cette langue française »
La culture, la poésie, le Sénégal et l’Afrique sont le cœur de la vie et de l’œuvre de Sall, également témoin critique de son temps. Ainsi, lorsqu’il déclare (in Ouestafnews, 23 avril 2020) : « Ce siècle commence mal. Les grandes puissances marchandes et conquérantes ont aiguisé leurs coutelas. Voyez la géopolitique mondiale entre la Chine, les États Unis, l’Europe, pour s’en arrêter là. Regardez la rage et la complexité des conflits au Proche et au Moyen-Orient. Observez les sommets luxueux et la pitoyable vanité du G8. Pensez au réchauffement climatique et aux politiques désastreuses sur l’environnement et l’écologie malgré des signatures pompeuses et des accords trahis. Pensez à la longue mainmise de Boko Haram sur les pays du Sahel et la pétrification de nos États et de l’Union Africaine qui confient à la pauvre France notre destin. Oui, ce siècle est déjà puant, ténébreux, tendu, pessimiste. Et comme si cela ne suffisait pas, voici le Covid-19 qui s’invite et qui nous creuse des tombes comme si celles déjà creusées par les conflits ne suffisaient pas. Comment alors ce siècle pourrait-il avoir 100 ans ? Les poètes sont par nature de joyeux optimistes, mais notre terre va mal. C’est pour le moment un enfer climatisé, mais jusqu’à quand le peu de fraîcheur tiendra ? » Amadou Lamine Sall dénonce ce que les hommes ont fait de notre terre : « Dans moins de vingt ans, tous les glaciers vont fondre à chaque été. Cela changera beaucoup de paramètres dans notre vie sur terre. D’ailleurs, elle a déjà beaucoup changé notre vie sur terre. Nous avons fait beaucoup de mal à la nature. Ne disons pas qu’elle se venge ou qu’elle se vengera. La nature est meilleure que nous. Elle est plus généreuse, plus offerte, plus digne que nous. Elle ne se vengera pas. Elle laissera faire et quand nous ne la verrons plus, quand nous ne la sentirons plus nulle part dans nos vies, alors nous saurons mesurer le poids de notre crime et nous verrons de nos propres yeux la mort venir vers nous. Il sera trop tard. Vous avez vu et entendu comment la terre chante, comment les oiseaux volent, comment le ciel est bleu depuis que les avions ne décollent plus, que les usines ne fonctionnent plus à temps plein ? N’est-ce pas là un formidable message pour nous indiquer la voie ? »
Pour Amadou Lamine Sall, il n’existe plus de grandes puissances. C’est un leurre et le Covid-19 l’a mis à nu : « Il a mis à découvert toute leur fragilité, leur peur, leur pauvreté même. Désormais, plus notre terre se mondialisera plus elle se tribalisera. Chacun pour soi et tous pour soi. L’Union Européenne en a administré la preuve en laissant crever l’Italie, l’Espagne. Les solidarités ont vite pris la fuite. C’est une prodigieuse et inespérée leçon de politique internationale en temps de mort. À l’Afrique d’anticiper et de veiller à ce que personne désormais ne se lève avant elle pour lui couvrir les fesses. Le Covid-19 est à la fois un accélérateur d’égoïsmes, un forgeur d’humilité, un révélateur de priorités de santé et d’autosuffisance alimentaire. Que personne ne vienne plus faire le gros dos avec sa puissance nucléaire, ses industries, ses réserves d’or, son pétrole… »
Et l’Afrique ? Sall répond : « La meilleure attitude de l’Afrique vis-à-vis de l’Occident, c’est de travailler d’abord pour les peuples. Commencer par bâtir avec ce que nous possédons. Commencer par nous respecter nous-mêmes, être dignes. L’Afrique a beaucoup trop donné et il est temps qu’elle pense enfin à elle-même. Il est aussi temps de réformer l’Union Africaine, d’en faire un outil enfin fiable, producteur de pensées, de concepts, d’actions, de solidarités. Il faut réinventer l’UA. Elle fait honte. Il faut aller vite, très vite dans l’affirmation et la consolidation des cercles concentriques pour une unité régionale d’action et d’ensemble plus opérationnelle. Essayons d’avoir dans nos agendas de la semaine, un jour ou deux, où nous ne prononçons pas le nom de l’Europe, de la Chine, des USA, des pays du Golfe, où nous n’avons pas à la bouche la dette africaine, le retard de l’Afrique, mais seulement ce qui a trait à notre continent, à son développement, son indépendance, sa solidarité, son identité. Laissons un moment tranquille les autres. Mais ce n’est pas vrai, par contre, que l’Afrique peut vivre et se développer seule, sans les autres, sans la coopération internationale. Commençons par coopérer entre nous, Africain, par nous développer entre nous, Africains, par respecter nos peuples démunis sinon dépouillés par les gouvernants Africains eux-mêmes. Respectons la démocratie, respectons nos constitutions. Comme j’aimerai justement que chaque sac de riz distribué au Sénégal soit accompagné d’un livre. Nous avons des milliers de tonnes de vivres distribués et pas un seul kilo de livres. Des centaines de camions qui sillonnent le pays sans un seul carton de livres. C’était là une belle occasion pour que les livres des écrivains sénégalais et africains soient distribués, que le Coran et la Bible soient distribués. Un livre c’est aussi un vivre. Dans le couvre-feu et le confinement, il sert. Pour vous dire que nous ne devons jamais marginaliser le savoir, la pensée, l’esprit. C’est par eux que nous résistons le mieux à la déperdition… »
La poésie sénégalaise ? « Pour ma part, nous dit Amadou Lamine Sall, il y a longtemps que je suis convaincu que le renouvellement de notre poésie d’expression française se trouve dans le trésor de notre poésie orale traditionnelle, celle-là que l’on rencontre tous les jours ans la joie et la douleur de notre peuple, dans son quotidien, ses traditions, ses mythes et ses légendes. Mais que chantent donc tous ses jeunes et tous ses vieux poètes sénégalais ? L’amour de l’Afrique, la beauté de la femme noire, l’évocation des valeurs de la culture traditionnelle. Ce qui les différencie. C’est que la génération des années 70 parle à son propre peuple, s’adresse à sa propre société, alors que la génération des poètes de la Négritude interpellait le blanc colonisateur et prédateur ; ils chantaient la race, revendiquaient d’appartenir à une civilisation haute et féconde. La jeune poésie sénégalaise a dépassé tout naturellement cet état de revendication parce que les époques ne sont plus les mêmes. Les poètes de la nouvelle génération sont plus intimistes mais, avouons-le, moins inspirés et moins solides dans la maîtrise de l’écriture poétique sauf à de rares exceptions près. Les thèmes les plus récurrents sont l’amour, la femme, la misère, la pauvreté, la quête de justice. La vie ou l’âme d’un poète, comme celle d’un peuple, subit bon gré malgré les effets des rencontres et des mutations de l’histoire. Toute nouvelle génération est une génération mise au défi. Pour créer une nouvelle poésie au service d’une nouvelle urgence d’expression, les jeunes poètes sénégalais ont dû faire leurs ces mots d’Aragon : la grande affaire était de désapprendre et non d’avoir appris. Tourner le dos aux modèles qui se révèlent être toujours des impasses. »
Lauréat en 1991 du Prix du rayonnement de la langue et de la littérature françaises décerné par l’Académie française ; Prix européen de poésie L.S. Senghor 2019 ; Amadou Lamine Sall n’en reste pas aux honneurs et proclame : « Le poète use des mots pour dire le monde et la terre. Il en use pour créer ce qui ne peut exister et dont nous avons besoin ici et maintenant pour supporter notre condition d’homme, de femme, d’enfant solitaire, déchiré ou aimé dans un siècle qui ne semble vouloir rien nous donner sans nous prendre un morceau de notre âme, sans chercher à nous amputer de ce quelque chose qui nous grandi et nous honore et nous aide à garder la distance avec la bête. Là où le monde ne répond plus aux questions de l’âme, les poètes, eux, doivent y répondre. La poésie restaure l’être. La poésie nous arrime à ce qui toujours élève l’homme. La poésie a ceci de commun et de charnel avec la religion, toutes les religions, c’est qu’elle garde le don de toujours étonner. La poésie, la vraie, d’où qu’elle vienne ne sera rien d’autre que la parole belle au creux de la grâce, la parole-amour, la parole-chant, la parole-entraille, la parole-sang, celle-là même qui véhicule à nulle autre pareille la part la plus totale, la plus profonde et la plus noble de l’Homme. »
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
Œuvres, poésie : Mante des aurores (Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 1979), Comme un iceberg en flammes (Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 1982), Femme fatale et errante ou Locataire du néant (Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 1988), Kamandalu (Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 1990), Le Prophète ou le cœur aux mains de pain (éditions feu de brousse, 1997), Amantes d’Aurores (Les Écrits des Forges/Éditions Feu de brousse, 1998), Odes nues (Éditions En Vues, 1998), Les veines sauvages (Le Corbet, 2001), Noces célestes pour Léopold Sédar Senghor (éditions feu de brousse, 2004), Colore d’estasi, Antologia poetica (Franco Puzzo Editore, 2005, Prix international de poésie de Trieste 2004), Le Rêve du Bambou (éditions feu de brousse, 2010), Œuvre complète (éditions feu de brousse, 2011), Poulèle song, mon ourse des savanes (éditions feu de brousse, 2021). Essais : Regards sur la Francophonie (Éditions Maguilen, 1991), J’ai mangé tout le pays de la nuit suivi de Problématique d’une nouvelle poésie africaine de langue française : Le long sommeil des épigones (Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 1994), Senghor, ma part d’homme (éditions feu de brousse, décembre 2006). Anthologies : Poètes du Sénégal (Revue Poésie 1 n°131,1986), Nouvelle Anthologie de la poésie nègre et malgache de langue française, avec Charles Carrère (Éditions Simoncini), Poèmes d'Afrique pour enfants (le cherche midi. 2004).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : Tchicaya U TAM’SI, le poète écorché du fleuve Congo n° 54 |